On entend souvent dire par les musiciens que leur relation aux sons est apparue très tôt dans leur vie. C’est aussi vrai pour moi !
J’avais cinq ans lorsque mes parents m’envoyèrent en colonie de vacances dans les Alpes en compagnie de mon grand frère. Je me souviens avoir emporté dans mes bagages un disque 45 tours de la Petite Musique De Nuit de W.A.Mozart. Ce petit vinyle ne me quittait plus depuis quelque temps déjà. J’avais aimé cet air enjoué, rythmé et facilement mémorisable au point de le fredonner régulièrement. Bien que baigné dans le flot des sons et des musiques de mon époque (entre la fin des 60’s et le début des 70’s), cette œuvre de près de deux cents ans, ô combien enfantine, avait attiré mon oreille et mon cœur. Sans que je ne puisse l’expliquer, l’objet disque et son contenu venaient de se faire élire ‘accompagnateur officiel de mes premiers pas dans la Vie’.
Probablement l’objet symbolisait-t-il le lien, temporairement rompu, avec mes parents mais la mélodie rassurante et gaie était si percutante qu’elle s’imposa à moi immédiatement, m’aidant, au passage, à contenir la peur et la solitude.
Faute d’un électrophone à disposition, le seul souvenir de l’œuvre parvenait à m’apporter, le soir venu, le réconfort dont j’avais besoin.
Depuis lors, la présence de la musique n’a cessé de m’habiter et me supporter dans toutes les épreuves qui se sont présentées à moi.
En évoquant cette anecdote, je repense aux périodes de ma vie auxquelles renvoient les musiques que j’ai, par la suite, aimées. A chaque étape de mon évolution personnelle, se rattache un lot particulier d’émotions. Durant toute mon enfance, ce furent souvent de grands airs de la musique classique qui enchantèrent mes oreilles. Parfois joyeuses comme la Badinerie de la Suite n°2 de J.S. Bach ou le Baroque flamboyant de A. Vivaldi, parfois plus douces comme les pages romantiques de Chopin ou Beethoven. Avec le temps, je découvris les œuvres complètes (3ème symphonie « Eroica » de Beethoven, Symphonie n°36 « Linz » de Mozart, le Magnificat de Bach et bien sûr, les quatre Concerti pour piano de Rachmaninov !). Cette musique, essentiellement instrumentale, couvrait l’essentiel de mes émois. La réminiscence de la Petite Musique de Nuit allait sonner en mon for intérieur durant toute mon enfance jusqu’à ce s’ouvre une nouvelle ère, me faisant passer d’un âge à l’autre.
A la fin des années 70’s, alors que le Punk avait littéralement dynamité la musique populaire anglo-saxonne, puis mondiale, quelques scories retombèrent dans les haut-parleurs des radios périphériques françaises (il était temps !). A l’époque, il fallait déployer une énergie titanesque pour se procurer les productions anglaises ou américaines. Encore un peu jeune, un peu bridé et excentré (Paris et le désert français !), je n’avais donc pas encore accès aux productions underground que je ne découvris rétrospectivement qu’au milieu des 80’s. Malgré cela, des artistes français émergeaient sur les grandes ondes et les magazines musicaux, écrivant les premières pages d’une culture hexagonale moderne. Je me suis délecté des hits que Jacno écrivit pour sa complice Elli ou même pour Lio. Je trouvais dans sa musique l’immédiateté mélodique qui m’avait séduit chez Mozart lorsque j’étais enfant mais avec une simplicité orchestrale à nul autre pareil. C’était donc possible de faire beau et simple à la fois !
En quelques années, les riffs du Punk Rock se heurtèrent aux rythmes chaloupés du Disco alors que le Reggae, avec le succès américain de B. Marley, s’affirmait au niveau mondial. Des revival (Ska, 60’s), boostés par l’énergie punk fleurissaient en Angleterre et l’arrivée de nouveaux instruments changèrent le logiciel de la musique mondiale. Les synthétiseurs, les boîtes à rythme et autres séquenceurs débarquèrent et de nouvelles possibilités s’offrirent à des jeunes gens avides de participer immédiatement à cette émulation sans passer des années à étudier la pratique et la théorie. L’aire de la Pop synthétique, puis de la New Wave, s’ouvrait. L’adolescent solitaire et romantique que j’étais alors fut mystérieusement attiré par ces nouvelles sonorités, par les looks, les poses et postures de ces artistes, jeunes et déterminés. Ces musiques m’interpellaient d’une autre manière que le classique.
Et puis, ce fut le temps des premières émotions amoureuses.
C’est à cette époque que je suis tombé amoureux de Kim Wilde. Son premier album avait eu un succès international et il faut bien reconnaître que son look, gentiment rebelle, sa coupe en pétard et son air triste n’y étaient pas étrangers. Pour autant, j’étais (et le reste encore aujourd’hui) complètement séduit par les mélodies puissantes et une production savante qui mélangeait avec goût les guitares très électriques et les synthétiseurs analogiques sur fond de rythmique 50’s. Cette chanteuse pop cristallisait mon désir d’émancipation et mon désir tout court !
Et puis, il y eut les séjours linguistiques dans le Kent. Ici, les rêves d’indépendance allaient devenir réalité. Ce fut l’époque où, toujours chaperonné par mon grand frère, je pus sortir le soir dans une boîte où l’on apprenait tout, sauf l’anglais ! La B.O. de ces étés à Margate reflétait à merveille le bouillonnement musical de ce début des 80’s. Je découvrais le plaisir de danser tout en prenant conscience de ma nouvelle vie.
Le Punk avait, entre autres, permis à un public ‘non-autorisé’ de prendre le pouvoir en prenant le contrôle des instruments. Il n’était plus utile d’être un initié pour faire de la musique. Ce fut un tournant pour une génération entière de musiciens. De nouveaux codes allaient être créés, qui plus est, par des interprètes souvent peu virtuoses. Qu’importe, le Do It Yourself, indéfectible credo du Punk commençait par là : prendre les instruments comme on prend les armes. Sans le formuler ainsi à l’époque, je perçus une possibilité.
Jusque là, l’idée de jouer un rôle dans la musique que j’écoutais et que je ressentais au plus profond de mon être, ne m’était venue à l’esprit que par procuration. Je rêvais d’être Krystian Zimmermann, jeune (à l’époque) virtuose du piano ou mieux encore, H.V. Karajan himself !! Je ‘dirigeais’ le Philharmonique de Berlin en direct de ma chambre, mimant les variations de tempo et d’expression de l’orchestre et indiquant à tel ou tel soliste, le moment de son intervention. Rien de moins !! Bien avant l’Air-guitar, j’avais inventé l’Air-direction !! Pardon… Air-direktion !
Pour passer de ce rêve à la réalité, il eût fallu des années de travail et de sacrifices. Je manquais de confiance en moi et, il faut bien l’avouer, n’étais guère disposé à plonger dans l’étude académique du solfège ni dans la longue pratique répétitive et laborieuse des gammes.
Je ne suis nullement frustré de ne pas m’être engagé dans une voie où la rigueur et la discipline primaient. Pourtant, une envie de diriger un orchestre grandissait de jour en jour en moi et une énergie, jusqu’alors inconnue me poussait. Il fallait que ça sorte ! Mes désirs, un brin mégalomanes, allaient donc devoir prendre un raccourci radical en ce début de décennie…
En ’81, le Gouvernement français autorise les radios, jusque-là, ‘Pirates’, à émettre légalement sur la bande FM. Ici aussi, comme pour la pratique musicale, il n’était plus besoin d’être encarté comme journaliste pour parler à la radio. Ces médias associatifs contribuèrent à la diffusion de musiques dont les ‘grandes maisons’ ne parlaient que trop rarement. La puissance de leurs émetteurs, bien que locale, leur donnait un rôle nouveau dans le concert médiatique. Pour la première fois, la ‘Province’ pouvait exister en faisant entendre sa voix et celle de ses artistes. A Lyon, Starshooter, Electric Callas, Ganafoul, Marie Et Les Garçons et bien d’autres donnèrent au tout neuf (Punk) Rock français ses premiers classiques. Quelques années plus tard, ce serait à mon tour de faire entendre ma voix et mes chansons sur scène et en studio.
Mais pour l’heure, il semblait qu’un nouveau chemin se dégageait pour qui voudrait bien s’y engager. Une illusion adolescente ? Non ! Bien au contraire, il s’agissait d’une occasion inédite de répondre à un besoin essentiel : sortir de moi, grandir…Vivre ! Rejoindre la ‘Communauté des Musiciens’, être de ceux qui me faisaient rêver depuis toujours et me supportaient, prendre une place, quelque part, n’importe où mais la mienne et à ma façon… Il suffisait d’y aller !
Ce fut le cas lorsque mes parents m’offrirent un orgue électronique pour mes quinze ans. Ce fut le cadeau le plus utile de toute ma vie !
Le choix de cet instrument n’était finalement pas innocent car il me permettait de piloter facilement une orchestration automatique du bout des doigts. Des claviers électroniques sans ‘arrangeur’ existaient bien à l’époque et auraient parfaitement convenu à un musicien jouant en groupe, si cela avait été mon cas. Or, pour l’heure, j’étais seul et ne connaissais personne dans mon entourage avec qui jouer. Je demeurais solitaire mais avec, désormais, une fenêtre sur l’extérieur, sur moi-même aussi. Au fil du temps, j’allais apprendre à me découvrir en apprenant à jouer, seul. Il faudra attendre cinq ans avant de partager ma passion avec d’autres musiciens.
Bien qu’imparfaite et un peu ringarde, cette ‘machine’, m’a néanmoins apporté bien des satisfactions. Le réalisme approximatif des sonorités n’entama en rien le plaisir indicible que j’ai eu d’entendre naître sous mes doigts maladroits mes premières compositions. Dès le premier soir, j’ai su ce qui allait durablement me plaire dans l’exercice musical. Plus que tout, ce serait de trouver de belles mélodies, de celles dont on se souvient. Jouant inlassablement sur ce clavier, je tentais de retrouver la ‘Petite Musique De Nuit’ qui m’avait marqué, enfant.
La retrouver et la faire mienne.
